La pandémie, et surtout la sortie de cette crise, nous rappelle que toutes les composantes de la société sont interreliées et qu’en ce sens, les entreprises ne vivent pas en vase clos. Elles n’en ont d’ailleurs jamais eu la légitimité. Depuis le début des temps, elles ont pris leur légitimité et leurs limites à l’intérieur des cadres que leur imposait le tissu social à l’intérieur de laquelle société elles évoluent. Ce qui a toujours caractérisé leur poids relatif par rapport à d’autres constituantes relève davantage des époques et des mœurs à certains moments donnés et dans des lieux donnés. Que l’on soit aux États-Unis, au Canada, au Québec, en Europe ou d’ailleurs influe sur leur prépondérance. La mondialisation, tel qu’on l’a vécu jusqu’à l’arrivée de cette pandémie, amenait un autre niveau d’encadrement des actions qui accentuait l’interdépendance des nombreuses constituantes. S’y mêlent entreprises privées, entreprises publiques, gouvernements, groupes religieux, investisseurs, syndicats et travailleurs, environnementalistes, groupes de pression et de réflexion de tout ordre. C’est tout le cœur du rôle et de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).
La pandémie est venue apporter un certain temps d’arrêt (ou plutôt de ralentissement) – je dirais davantage comme l’exprime si bien l’expression anglaise un « hiccup » – qui vient chambarder quelque peu l’ordre établi. Les gouvernements et les instances de santé publique ont pris le devant de la scène et dictent maintenant le pas de la parade. Jusqu’où et pendant combien de temps encore, bien malin qui saura le prédire. Mais force est de constater que ces instances sont maîtresses des diktats actuellement. Qui, quand et quoi rouvrir? À quel rythme, pendant combien de temps, sous quelles conditions …? Comment les individus doivent se comporter, etc.
Déjà, tous ces effets se font sentir sur les entreprises. Certaines en sortiront plus grandes, d’autres affaiblies, d’autre pas, transformées, réinventées, toute une panoplie d’effets.
Certains auteurs universitaires ou penseurs tels Henry Mintzberg de McGill ou Jean Paul Gagné de Les Affaires ont déjà apporté leur éclairage.
Pour Mintzberg, tel que le rapportait Éric Desrosiers du journal Le Devoir : « Féroce pourfendeur des soi-disant « leaders conquérants » et omniscients que célèbrent trop souvent les manuels de gestions, l’expert admet que certains dirigeants politiques ont sans doute fait une différence dans la réponse des pays à la pandémie de COVID-19, pour le meilleur ou pour le pire. Mais pas autant que la capacité de ces pays de cultiver et d’approfondir le ménage à trois entre les pouvoirs publics, le marché et les différentes formes que prend la société civile et qu’il appelle le « secteur pluriel ».
Comme les trois pattes d’un tabouret, c’est la solidité, l’équilibre et la complémentarité de ces trois secteurs qui font les démocraties les plus fortes, les plus saines et les plus prospères, estime l’expert. Il en veut pour preuve les classements internationaux au sommet desquels apparaissent, notamment, les pays d’Europe du Nord, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne ou encore le Canada, mais où les États-Unis font piètre figure. Or, il n’est probablement pas un hasard, pense-t-il, si plusieurs de ces premiers de classe sont aussi ceux qui ont le mieux géré la pandémie jusqu’à présent. »
Ce texte de Mintzberg ramène à l’avant- scène la nécessité de revoir les rapports de force entre les différentes constituantes de nos sociétés.
Pour sa part, Jean Paul Gagné reprenant encore une fois l’exemple de Bombardier et la généreuse compensation consentie à Alain Bellemare son Ex-PDG et certains hauts dirigeants alors que l’entreprise est en pleine crise, doit congédier de nombreux travailleurs et se voit amputée d’une énorme partie de son patrimoine acquis grâce à la participation de très nombreuses parties prenantes de la société québécoise, fait ressortir l’efficacité des plus mitigées des mécanismes de gouvernance qui sont prétendument supposées assurer une bonne surveillance et pratique en matière de décisions stratégiques, de gestion du risque et de pérennité des entreprises. Pourtant ce sont les instances gouvernementales qui doivent intervenir, dans plusieurs cas, pour s’en assurer; que ce soit Bombardier, Le Cirque du Soleil, Rona, Provigo à une certaine autre époque et d’autres.
Revenant sur Bombardier et particulièrement sur la politique de rémunération (pourtant centrale au rôle des administrateurs), Jean Paul Gagné écrit : « Ce système, qui semble immuable, est un cercle vicieux, qui contribue année après année à creuser l’écart entre la rémunération des hauts dirigeants et celle de l’ensemble des employés. Or, il perdurera aussi longtemps que l’État n’y mettra pas un frein, personne ne voulant réduire sa rémunération au-dessous de celle de son vis-à-vis dans le groupe d’étalonnage établi par les consultants. Heureusement, une lueur d’espoir apparaît outre-Atlantique, où plusieurs pays prennent différents moyens pour contrôler la cupidité des grands dirigeants de sociétés. » On ne peut que déplorer que le gouvernement doive agir en ce sens et que les instances qui devaient « réguler » ce système ne se soient pas montrées plus efficaces.
Ces derniers nous ramènent, par leur vision et propos, à une mise à jour des pratiques actuelles en matière de gestion et de gouvernance de nos entreprises; quelle que soit leur taille ou leur importance. Ces pratiques doivent être revues, soumises à une réflexion et une analyse plus pointues, ajustées, adaptées et plus inclusives à ce que Mintzberg appelle le secteur pluriel.
Je ne crois pas que la réponse repose sur l’ajout d’une autre couche « non productive c.-à-d.. de surveillance et encadrement par- dessus la force de production (de produits ou services) réelle» ni en donnant à celles existantes de nouveaux pouvoirs d’intervention ou privilèges de se doter de ressources additionnelles pour assumer leurs responsabilités pour lesquelles l’entreprise leur offre et leur fournit déjà des ressources.
Surement qu’une approche plus inclusive, collaborative, plus diversifiée, plus souple et adaptée au contexte particulier et évolutif des entreprises pourrait apporter certains éléments.
Qu’en sera-t-il au sortir de cette crise (ou du moins cette phase actuelle), en profiterons-nous pour pousser davantage ce que l’on appelle souvent depuis le début de ces moments plus difficiles se réinventer? Oserons-nous? Comment? Et pour combien de temps?